Open space : un aménagement possible ?

Open space : un aménagement possible ?


Apnée professionnelle 


Vous voulez torturer un Asperger ? Placez-le sans préambule dans un open space pendant une journée et laissez agir. Comme un cachet d’aspirine qui se dissout dans l’eau, vous verrez votre asperger fondre au fil des heures, pour finir lessivé, voire essoré, au moment de quitter son poste. Répétez l’opération pendant un mois, vous obtiendrez un bon zombie sous contrôle, s’il n’a pas déjà déclaré forfait en démissionnant ou tenté de souffler un peu en arrêt maladie. Open space, une inquisition moderne dotée de supplices subtils servant à désarticuler avec art un individu. 

Si l’idée louable d’origine était une réorganisation du travail pour stimuler les salariés, les aider à évoluer en synergie dans un gain de temps et de place, tout en mettant subrepticement en place un œil de Moscou collégial qui culpabilise le dernier arrivé et le premier lâcheur quittant le navire pour tenter d’avoir une vie privée, la réalité sur le terrain peut vite tourner en radeau où chacun rame comme il peut, médusé par des conditions de travail oubliant qu’avant d’être des employés, l’Homme est un mammifère comme les autres. 

Open space : un aménagement possible ?
Pas besoin d’être Asperger pour subir l’open space. Et plutôt que de développer la bonne idée (la petite sœur de la première) qui consiste à vouloir aménager le territoire pour le rendre plus vivable pour une personne autiste, il serait peut-être temps de réviser en profondeur un système qui fonctionne de moins en moins. Non pas pour fabriquer des cellules individuelles cloisonnées, mais pour repenser le collectif dans un climat de bien-être et de coopération effervescente. En attendant l’utopie, zoom sur le cauchemar grandeur nature… 

L’espace s’offre à perte de vue à la campagne, il devient un luxe en milieu urbain. Un luxe qui coûte cher aux entreprises, surtout aux PME parisiennes, start-up pleine d’avenir pour beaucoup, mais qui ont encore du mal à distinguer l’horizon dans des bureaux sans lumière où s’agglutinent des salariés exaltés à qui on demande de se dépenser sans compter. Je me souviens d’une rédaction d’agence de contenu, où nous étions jusqu’à six à nous entasser dans moins de 10 m2. Pas de fenêtre, juste un puits de lumière au plafond en salut, pas d’aération donc et les odeurs de bouffe se mêlant à l’heure du déjeuner aux parfums à la mode ayant tourné en fin de matinée. Une promiscuité imposée à devoir supporter les nuisances de ses voisins, sans sortie de secours pour s’échapper. Une aliénation contemporaine revisitant un travail à la chaine se voulant tendance. 

Pour une personne Asperger, des chaines encore plus lourdes et douloureuses à porter : 

- Le cliquetis continuel des claviers…
- Les coups de téléphone toutes les dix minutes…
- La lumière crue pour remplacer l’absence de luminosité naturelle… 
- Le mouvement sans fin des personnes déambulant en permanence…
- Le bruit de l’imprimante, des portes qui claquent, du four à micro-ondes…
- Les pauses déjeuner prises ensemble dans une volonté de corporate… 
- Les conversations sociabilisantes, les réunionites aigues dont souffre le boss… 
- Les efforts pour résister (ou pas ) à la tentation de mettre des boules quiès pour travailler, quitte à passer pour… une autiste. 
- Les efforts pour résister à la tentation de se lever, de prendre ses affaires et partir… 
- Les efforts pour résister à la tentation de l’honnêteté sans écran avec ses collègues… 
- Les efforts pour faire semblant de travailler pendant de longues heures alors que le travail est déjà terminé depuis de longues heures. 
- Les efforts  pour être à l’écoute des autres alors que l’esprit plane ailleurs. 
- Les efforts pour ne pas se laisser submerger par le flot sensoriel de l’environnement… 
- Les efforts pour ne pas saper le moral de l’équipe par une énergie désastreusement négative qui rappelle en substance l’inanité de sa tâche dans cette vacuité du monde. 
- Les efforts pour faire des efforts qui demandent des efforts qui fatiguent comme un portable en marche forcé qui n’a plus que 4 % de batterie pour tenir jusqu’à la fin de la journée… 


Les aménagements sont des vœux pieux… souvent irréalisables pour les entreprises où le nombre de mètre carré impose ses limites et souvent incompréhensibles des collègues de bureau dont le vieux sens de l’égalité se réveille face à un « traitement de faveur ». Avant de parvenir à une réorganisation globale de l’espace de travail, le télétravail apporte une solution simple et souple à mettre en place. Il suffit « juste » de changer les mentalités… Et tout est dans le « juste »… 

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